Physique pour la médecine

...la théorie!

Médecine Nucléaire

Chapitre I: Marqueurs.

I.A. Principes de scintigraphie.

En médecine nucléaire, la scintigraphie consiste à injecter à un patient une substance marquée par un isotope radioactif et à en suivre, de l'extérieur, la progression dans l'organisme, la fixation dans les tissus et, le cas échéant, son évacuation plus ou moins rapide. Sa vocation de base est d'observer l'activité métabolique des différentes parties du corps, d'en vérifier le caractère normal ou d'en constater les aspects pathologiques, ceci afin d'apporter une aide au diagnostic ou de suivre les effets d'un traitement. Il s'agit donc avant tout d'une imagerie fonctionnelle, ce qu'il est important de souligner au vu du manque de résolution, a priori décevant, que présentent les images dans ce domaine. La recherche de hautes résolutions est plutôt l'apanage de l'imagerie morphologique, servie par ces remarquables techniques que sont l'IRM et la tomographie numérisée (On devrait en principe préciser "par rayons X" car, comme on le verra, l'imagerie fonctionnelle propose elle aussi une sorte de tomographie numérisée). Ceci étant dit les deux approches apparaissent de plus en plus complémentaires l'une de l'autre, la première pour détecter, par exemple, certaines pathologies, la seconde pour localiser précisément les régions malades. D'où la tendance actuelle (écrit en 2013) à coupler physiquement deux machines, l'une de scintigraphie (gamma-caméra ou PET-scan) et l'autre de haute résolution spatiale (scanner ou IRM).

1)Marqueurs

Un marqueur est un isotope radioactif utilisé pour suivre à l'intérieur du corps humain l'évolution de la substance injectée, et cela en détectant à l'extérieur les particules émises par les noyaux qui se désintègrent. Etant donné que, pour être ainsi détectées à l'extérieur, ces particules doivent pouvoir au moins sortir du corps et donc traverser des épaisseurs de matière non négligeables, c'est en pratique de photons durs qu'il s'agit, soit de rayons gammas ou de rayons X de réarrangement. Des particules α ou β- ne possèdent jamais de parcours suffisant de ce point de vue. En pratique, les marqueurs utilisés en médecine nucléaire seront soit des émetteurs γ, soit des émetteurs β+, puisque le positron possède cette propriété remarquable de s'annihiler avec un électron, dont il est l'antiparticule, pour donner deux photons de 511keV émis symétriquement (voir par exemple le sujet radioprotection, §I.A.7). Les photons émis par des émetteurs γ sont repérés et mesurés classiquement par une… gamma-caméra (!), alors que les photons d'annihilation de positrons sont en principe associés à la technique du PET-scan (PET pour "Positron Emission Tomography", en français TEP). Il est intéressant de constater que le PET scan constitue, tout bien considéré, la première application de l'antimatière.

Il y a une distinction nette entre les deux grandes techniques d'imagerie que sont la radiologie et son prolongement le scanner d'une part, et la scintigraphie d'autre part. La première utilise une source très ponctuelle, le foyer d'émission sur l'anode du tube à rayons X, et mesure l'absorption des photons au travers de l'organisme, dans toutes les directions qui, au départ du point source, traversent la région à explorer. Il s'agit donc avant tout d'une imagerie de transmission. En scintigraphie, la région source à l'intérieur du corps du patient peut-être assez restreinte comme elle peut être fort étendue. La localisation des zones émettrices constitue même souvent le but premier de la manipulation, comme en oncologie par exemple. On peut parler dans ce cas d'imagerie d'émission, avec comme inconnue première la variation d'intensité d'un endroit à l'autre. Or le fait est que l'absorption des photons le long de leur parcours peut masquer cette variation, en particulier si les régions sources sont situées à des profondeurs très différentes. Ce qui constitue en radiologie le paramètre de base pour la reconstruction des images représente donc a contrario en médecine nucléaire un problème réel que la technologie devra s'efforcer de rencontrer d'une façon ou d'une autre

Le choix d'un marqueur est limité par l'énergie des gammas émis, qui ne doit pas être trop faible, sous peine de voir tous les photons absorbés avant de sortir de l'organisme, mais qui ne doit pas non plus être trop élevée. On pourrait penser que de hautes énergies gommeraient le problème de l'atténuation dans l'organisme, mais ce serait oublier que les détecteurs sont eux-mêmes basés sur l'interaction et l'absorption des gammas avec le milieu actif de détection, de sorte que choisir des photons qui traverseraient en grand nombre ce milieu sans interagir reviendrait à diminuer l'efficience de la mesure. De ce point de vue, les 511keV d'énergie rencontrés en PET-scan apparaissent un peu à la limite, mais d'une part cette valeur est incontournable puisque imposée par la masse de 511keV/c² du positron et de l'électron, et d'autre part le manque d'efficience qui en découle se voit largement compensé par le fait que la technique ne nécessite pas de collimateur et ne connaît donc pas la sélection sévère qu'impose cet accessoire. En gamma-caméra, où le choix de l'énergie est beaucoup plus large, les valeurs retenues se situent entre 20keV et 400keV (voir tableau ci-dessous, qui reprend quelques radionucléides couramment utilisés). Sans surprise, cela englobe la gamme de travail de la radiologie, qui s'étend de 20 à 150keV.

Isotope

Eγ   (keV)

Mode

67Ga

93,   185, 296, 388

CE

99mTc

140

TIM

111In

171,   245

CE

123I

159, 285

CE

125I

27,   36

CE

131I

364

β-

133Xe

80

β-

201Tl

71, 164

CE

CE: Capture électronique

TIM: Transition isomérique métastable

β: Emetteur β

Une autre contrainte porte sur la période radioactive du marqueur, qui ne doit être ni trop courte ni trop longue.

Elle ne doit pas être trop courte tout simplement pour laisser à l'opérateur le temps d'effectuer la mesure avec une statistique suffisante. Il faut souligner à ce niveau que la radioactivité gamma relève de l'interaction électromagnétique au sein du noyau, que celle-ci se caractérise par des probabilités de transition très élevées, et que de ce fait les isotopes gamma purs ont des temps de vie extrêmement courts, typiquement de l'ordre de 10-12s ! Une première façon de contourner le problème est d'utiliser un état isomérique métastable. Les états métastables constituent des exceptions en radioactivité gamma: Leur désexcitation ne satisfait pas à certaines règles de sélection obligatoires en la matière et se révèle de ce fait beaucoup moins probable que normal. Très utilisé en médecine nucléaire, le technétium-99 99mTc, de période 6h, est le grand représentant de cette catégorie. Une autre option passe par le choix d'émetteurs alpha ou bêta qui se désintègrent en passant avec une haute probabilité (ou taux de branchement, ou "branching ratio") par un état excité du noyau fils, lequel redescend par émission gamma vers son état fondamental. Dans ce cas, c'est le temps de vie du noyau père qui prévaut (voir "physique nucléaire", §III.A.3.b). On peut enfin utiliser, avec le même résultat sur le temps de vie, des isotopes à excès de protons qui se désintègrent par capture électronique. Dans ce dernier cas les photons durs émis ne sont pas des gammas mais des rayons X provenant du réarrangement du cortège électronique consécutif à la disparition d'un électron dans les couches basses de l'atome (voir "physique nucléaire", §III.A.2.b.2°).

Certains isotopes fort intéressants ont une vie tellement courte (quelques minutes) qu'ils doivent être produits sur place, par un petit cyclotron situé dans le service de médecine nucléaire à proximité de l'imageur, mais il s'agit là d'un équipement coûteux qui n'est pas accessible à tous les centres hospitaliers.

La période du marqueur ne doit pas non plus être trop longue, pour des raisons de radioprotection. Une fois la mesure effectuée, c'est inutilement que le patient conserverait de l'activité dans ses organes. De ce point de vue, la désintégration radioactive n'est pas le seul mode de disparition des noyaux instables puisqu'ils peuvent aussi se voir éliminés de l'organisme tout simplement par voie naturelle. La période biologique Tb d'un isotope est le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux soient éliminés par cette voie. La période effective Te est le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux disparaissent de l'organisme, que ce soit par désintégration ou par voie biologique. Te est la moyenne géométrique entre Tb et la période physique Tp.

                        MedNuc IA 1

En cas de valeur excessive d'une de ces deux périodes, on peut donc parfois compter sur l'autre voie pour obtenir une contamination réduite en un temps raisonnable. Dans le tableau ci-dessous, les deux premiers exemples présentent chacun une des deux périodes de base plutôt longue et l'autre beaucoup plus courte. La formule donne une période effective égale au temps le plus court, ce qui marque le fait que c'est par cette voie que s'élimine la quasi-totalité de l'activité. Dans le troisième exemple les deux périodes sont sensiblement égales. La période effective est proche de la valeur moitié vu que les deux voies d'évacuation s'épaulent mutuellement pour aboutir à une évacuation deux fois plus rapide.

Isotope

Organe

Tp

Tb

Te

14C

Os

2.000.000

40

40

131I

Thyroïde

8

138

7.6

32P

Foie

14.3

18

8

N.B.: Les périodes   sont exprimées en jours

 

 

 

 

Le technétium-99 est l'un des radionucléides les plus utilisés en médecine nucléaire, et il apparaît en effet comme le candidat idéal du point de vue des deux critères développés ci-dessus. D'une part l'énergie émise, de 140keV, représente le meilleur compromis entre l'atténuation au travers du corps du patient et une bonne efficience de détection, et d'autre part sa période de 6h convient parfaitement à l'usage qui en est fait: On a là un temps confortable pour que le produit injecté puisse faire son chemin dans l'organisme, et que le manipulateur puisse ensuite effectuer la prise de données dans de bonnes conditions, et par ailleurs il suffira d'un jour ou deux pour voir disparaître l'activité de l'organisme (Il subsistera 1/16ème après 24h, 1/256ème après 48h).

2)Traceurs

Le traceur est la substance injectée au patient après marquage par le noyau choisi. Le marquage consiste à remplacer au sein du traceur un élément stable par un de ses isotopes radioactifs, en rappelant que des noyaux isotopes sont chimiquement équivalents. Par exemple, le carbone, l'azote et l'oxygène possèdent tous les trois un isotope subissant la capture électronique (11C, 13N et 15O) ce qui permet de marquer un très grand nombre de molécules biologiques puisqu'ils en sont les composants fondamentaux (avec un grand bémol dans cet exemple, dû aux temps de vie très courts, respectivement de 20min, 10min et 2min, ce qui oblige à les former sur place dans un appareillage coûteux).

Le traceur peut-être un simple élément (iode), une molécule simple (eau) ou complexe (protéine), ou une structure cellulaire (globule rouge). Il est choisi pour sa capacité à se fixer préférentiellement dans tel ou tel type de tissu et/ou son aptitude à mettre en évidence telle ou telle pathologie. Ainsi, il est bien connu que l'iode se concentre dans la thyroïde, où il s'avère indispensable à la formation des hormones thyroïdiennes: Le marquage par de l'iode radioactif permet de vérifier le fonctionnement de la glande ou de suivre le chemin des molécules formées. On peut aussi citer l'exemple des cellules tumorales, qui tendent à surconsommer le sucre et donc à capter le glucose en grandes quantités. Le fluor-18, l'isotope le plus utilisé en PET-scan, sert à marquer des molécules très proches du glucose (le fluorodésoxyglucose ou FDG) et à détecter ainsi les régions malades. De très petites métastases peuvent être repérées par cette technique, ce qui la rend incontournable en oncologie.

Les méthodes de synthèse et de marquage des traceurs relèvent de la chimie, les critères de choix de la biologie. On en trouvera de plus longues descriptions dans les ouvrages ou sites spécialisés.