Echographie |
Chapitre I: Les ultrasons. |
I.B. Propagation.
1)Intensité de l'onde.
L'intensité I est la quantité d'énergie sonore qui traverse l'unité de surface par seconde. C'est donc aussi la puissance (énergie par seconde) par cm², avec pour unité le watt/cm². I est proportionnel au carré de l'amplitude de pression qui génère l'onde:
I ∝ p0²
Les intensités en jeu en échographie, comme en acoustique d'ailleurs, varient sur de nombreux ordres de grandeur. Ainsi, les échos perçus en retour de l'onde émise peuvent s'avérer un million de fois moins intense que celle-ci, tout en restant dans les possibilités de détection qui couvrent elles aussi une large gamme en puissance. D'où l'intérêt de faire appel à l'échelle des décibels dB, échelle logarithmique bien connue par ailleurs et qui permet de manipuler des nombres plus raisonnables que l'échelle linéaire en watts/cm². L'intensité relative exprimée en dB est définie par:
…où I0 est une intensité de référence, par exemple l'intensité émise à la source. Une variation de 10 décibels correspond à un facteur 10 en intensité, 20 décibels correspondent à un facteur 100, 30 décibels à un facteur 1000, et ainsi de suite. On retrouve là la caractéristique d'une échelle logarithmique, qui transforme en progression arithmétique une progression géométrique. Une valeur intéressante à retenir est 3dB, qui correspond à un facteur 2 en intensité.
2)Impédance acoustique.
L'impédance acoustique Z est le paramètre qui mesure la plus ou moins grande facilité avec laquelle un milieu propage le son. Elle est définie par la relation:
…où v est la vitesse des particules matérielles induite par la variation de pression p, vitesse à ne pas confondre, comme souligné plus haut, avec la vitesse c du front d'onde. L'équation ci-dessus montre que plus l'impédance est élevée, plus il est difficile de mettre en mouvement la matière, ce qui rappelle la notion analogue d'impédance électrique dont l'exemple le plus simple est donné par la loi d'Ohm U=Ri. En quelque sorte Z mesure la rigidité du milieu, ou sa raideur, et on ne s'étonnera pas dès lors de ce qu'il soit directement lié au paramètre d'élasticité B (Ch.I.A). On peut montrer en effet que:
[
Pour arriver à cela il faut remarquer que l'équation contrainte = B x déformation, à savoir p=BΔV/V (voir chI.A) peut aussi s'écrire:
…où ∂u/∂x représente la différence de déplacement des particules matérielles par unité d'épaisseur de matière. En effet, pour qu'il y ait, par exemple, une compression ΔV du volume V, il faut que les particules situées au bout de la tranche de matière en question se déplacent moins que celles qui se trouvent au début de la tranche. En utilisant ensuite Z=p/v, et en se rappelant que v=∂u/∂t, que u=u0cos(ωt-kx) et c=ω/k, on obtient la relation ci-dessus.
]
Puisque B=ρ0c², on a aussi:
Z=ρ0c
…qui donne un lien direct entre l'impédance d'un milieu et la vitesse de propagation de l'onde dans ce milieu. On en déduit aussi que l'unité SI d'impédance acoustique est le kg/m²s, ce qu'on appelle le rayl, en l'honneur du baron Rayleigh[1]. Le tableau ci-dessous donne la valeur de Z pour une série de tissus importants (d'après Bushberg et al.: voir bibliographie)
Milieu |
Z(rayls) |
Eau |
1,48 106 |
Air |
0,0004 106 |
Foie |
1,65 106 |
Rein |
1,63 106 |
Sang |
1,65 106 |
Muscle |
1,71 106 |
Os crâne |
7,8 106 |
Poumon |
0,18 106 |
Graisse |
1,34 106 |
Dans ce qui suit, on verra que les lois qui décrivent la progression et les interactions des ondes ultrasonores dans la matière sont parfaitement analogues aux lois de l'optique: réflexion, réfraction, diffusion, absorption se transposent directement d'un domaine à l'autre. De ce point de vue, l'impédance acoustique jouera le rôle de l'indice de réfraction n.
[
…à ceci près que n est quant à lui inversement proportionnel à la vitesse de la lumière, ce qui fait que dans les lois connues de l'optique il faudra souvent inverser l'ordre des indices 1 et 2 des milieux traversés.
]
3)Réflexion.
Quand le faisceau d'ultrasons passe d'un tissu à l'autre, une partie de l'intensité est réfléchie et l'autre transmise avec réfraction (nous supposerons dans un premier temps que l'interface est lisse et ne provoque pas de diffusion).
Pour ce qui est de la réflexion, la loi des angles est la même qu'en optique: il y a égalité entre l'angle d'incidence θi et l'angle de réflexion θr, mesurés par rapport à la normale à la surface (l'angle de réfraction, quant à lui, sera noté θt pour "transmission")
La distribution des échos au long d'une interface dépendra de son inclinaison et de sa courbure. D'où l'importance que prendra le type de balayage de la région par la sonde, balayage qui se devra de couvrir les différentes orientations des échos (Ch.II).
Le rapport des intensités réfléchie et incidente, appelé coefficient de réflexion, dépend fondamentalement de la différence entre les impédances Z1 (milieu proximal) et Z2 (milieu distal). En principe, la loi générale dépend aussi[2] de l'angle d'incidence θi et de l'angle de transmission θt, mais en échographie il y a lieu de considérer que le seul signal qui soit détectable est celui qui revient vers la sonde sur le même tracé que le signal émis, ce qui suppose une incidence pratiquement normale à la surface de séparation des deux milieux. Pour des angles qui sont donc proches de zéro, on a:
Une faible différence d'impédance peut donner lieu à un écho détectable, tout en laissant l'essentiel de l'intensité poursuivre son chemin pour explorer le milieu plus en profondeur. Par contre, lorsqu'une des impédances est petite comparée à l'autre, R est proche de 1, ce qui signifie que la réflexion est quasi-totale et qu'il ne restera rien du faisceau pour visualiser les structures plus lointaines. C'est le cas de l'air, dont on voit dans le tableau ci-dessus qu'il possède une impédance négligeable en comparaison des autres milieux, ce qui entraîne deux remarques: D'abord cela explique la nécessité d'enduire la peau d'un gel sur lequel glissera la sonde, car la moindre couche d'air empêcherait la pénétration du faisceau. Ensuite, on comprend pourquoi l'exploration des poumons est difficile, vu qu'en dehors de l'air qu'ils contiennent les faibles structures tissulaires internes ne permettent qu'une conduction très partielle des ultrasons.
4)Réfraction.
Quand le faisceau passe d'un tissu à l'autre, la partie transmise dans le milieu 2 voit sa vitesse de phase modifiée, ce qui provoque obligatoirement une brisure dans sa direction de propagation, sauf si l'incidence se fait perpendiculairement à l'interface. On retrouve là le phénomène de réfraction bien connu en optique, avec une loi identique, la loi de Snell, en termes d'angles et de célérités (par contre si on transpose la formule des indices de réfraction vers les impédances, il s'agit d'inverser les indices comme expliqué plus haut)
En échographie, l'onde qui progresse de tissu en tissu subit plusieurs réfractions, et il en est de même des échos qui reviennent vers l'arrière. Pour qu'un écho revienne sur la sonde et soit détecté, tout cela est censé se faire en ligne droite ou en tout cas sous de petits angles (encore que si la réflexion finale, qui produit l'écho, se fait selon la normale, la loi de retour inverse devrait ramener le signal sur ses pas quels que soient les angles intermédiaires). La loi des petits angles donne la formule simplifiée:
…où les θ sont à exprimer en radians[3]
Lors du passage d'une interface, la conservation de l'énergie implique que la somme des intensités réfléchie et transmise soit égale à l'intensité incidente, ce qui donne, pour l'intensité transmise sous une incidence normale:
5)Diffusion.
La réflexion et la réfraction cohérentes, caractérisées par une direction finale unique et précise, interviennent lorsque le faisceau interagit avec des structures lisses, ou dont les détails sont en tout cas de dimensions supérieures à la longueur d'onde λ. Quand le faisceau rencontre des objets dont la taille typique est de l'ordre de grandeur ou plus petite que λ, alors il se voit dispersé dans de multiples directions. Les objets en question peuvent être par exemple des microstructures dans un tissu non homogène, ou encore une interface qui d'une façon ou d'une autre présente des rugosités ou de petites irrégularités.
La diffusion peut être due à de la réflexion ou de la réfraction sur de petits interfaces orientées de façon quelconque, où à de la diffraction si les objets rencontrés sont petits comparés à λ. Contrairement à la réflexion et à la réfraction, qui peuvent se décrire par de la géométrie en termes de droites et d'angles, la diffraction est un phénomène purement ondulatoire qui provient de l'interférence entre les ondelettes réémises par l'ensemble des centres de diffusion.
Puisque l'onde incidente est réémise dans de multiples directions, l'intensité qui revient sur la sonde est plutôt faible, plus faible que des échos renvoyés par réflexion. Toutefois la sensibilité de détection en échographie est telle que ces signaux peuvent normalement être perçus et fournir ainsi de l'information sur la structure des tissus. Par ailleurs, la nature du phénomène (réémission dans de nombreuses directions), rend sa perception assez indépendante de la direction d'émission du faisceau, contrairement à la réflexion qui est très directionnelle. Enfin, étant donné que tout cela dépend de la taille des centres de diffusion comparée à λ, d'une part, et que d'autre part la longueur d'onde dépend de la fréquence, il apparaît qu'on peut se servir de la fréquence pour modifier l'importance relative du signal diffusé et du signal réfléchi, ce qui peut le cas échéant fournir de l'information.
6)Absorption et atténuation.
L'absorption du faisceau désigne la transformation progressive, tout au long du parcours, de l'intensité sonore en chaleur. Au niveau atomique, ce sont les oscillations cohérentes des points matériels qui se transforment en mouvements thermiques stochastiques. Les causes de ce transfert sont multiples: On peut citer la viscosité du milieu, liée aux forces entre atomes, ou encore des voies de stockage de l'énergie comme les modes de vibrations ou de rotation des molécules (lors d'un choc entre deux molécules, les atomes peuvent se mettre à vibrer les uns par rapport aux autres, ou à tourner ensemble autour d'un axe donné, ce qui consomme une partie de l'énergie présente avant le choc).
L'atténuation du faisceau, quant à elle, décrit la perte globale d'intensité que subit le faisceau dans sa progression. Elle inclut donc l'absorption, mais aussi la diffusion puisque la partie dispersée est de l'intensité qui se soustrait au faisceau direct. En principe, cela comprend aussi la réflexion sur les interfaces, mais ce phénomène est plus difficile à inclure dans un processus d'atténuation progressive et continue puisqu'il ne se produit que ponctuellement à certains endroits particuliers.
L'atténuation est exponentielle, avec une caractéristique µ, le coefficient d'atténuation, qui représente la perte d'intensité relative par cm de parcours, pour un tissu particulier. Pour l'intensité qui revient à la sonde en fonction de la profondeur x où s'est produit l'écho, on a:
Le facteur 2 dans l'exposant tient compte de ce que le signal qui revient à la sonde à parcouru deux fois la profondeur x, une fois à l'aller et une fois au retour. Ainsi, si le faisceau a été atténué d'un facteur 100 à l'aller, l'écho en retour sera lui aussi atténué d'un nouveau facteur 100, soit un facteur 10000 au total. La grande latitude de détection des sondes échographiques est telle qu'une diminution de ce genre ne fait pas problème, mais on comprend néanmoins que c'est l'atténuation qui apporte la limite principale à la profondeur visible.
La caractéristique d'une exponentielle n'est pas une quantité facile à manipuler mentalement, de sorte qu'il est d'usage en physique de définir d'autres paramètres, fonction de µ mais plus intuitifs et/ou plus pratiques. Pour ce qui nous occupe, on en trouve deux: 1°) Le coefficient d'atténuation α, qui s'exprime en décibels par cm, et 2°) la couche de demi-atténuation CDA, qui donne l'épaisseur de matière qui absorbe la moitié de l'intensité.
1°) Le coefficient d'atténuation α est lié à µ par la relation:
[
En effet, partant de la définition de l'échelle des décibels β, on a
]
α bénéficie du caractère linéaire de l'atténuation vis-à-vis de la distance; il suffit de le multiplier par le nombre de cm pour obtenir l'atténuation globale en dB. Par ailleurs, il dépend de la fréquence selon une loi complexe:
Pour l'eau, il existe une loi de la viscosité qui donne b=2 (variation en le carré de f), mais il semble que dans les tissus biologiques l'onde acoustique se comporte de manière plus compliquée. Toutefois, il est généralement admis que b y est proche de 1, de sorte qu'on peut admettre une règle, approximative mais pratique, de proportion directe:
Ainsi, à 4MHz par exemple, α est 4 fois supérieur à ce qu'il vaut à 1MHz. Inséré dans la loi de décroissance exponentielle cela donne vite des écarts considérables en termes d'intensité relative à une profondeur donnée. Donc les basses fréquences permettent d'explorer des régions plus profondes… mais ce sera au prix d'une moins bonne résolution, comme on le verra au Ch.II.
Le coefficient "a" dans l'équation ci-dessus s'exprime en décibels par cm et par MHz. C'est souvent ce paramètre qui est tabulé, puisqu'il suffit de le multiplier par la fréquence en MHz pour obtenir le coefficient d'atténuation α. Pour les tissus mous de l'organisme, Bushberg et al. proposent la règle (très) approximative a=0,5dB/cm-MHz. Pour le sang, a est plus faible (≈0,2dB/cm-MHz). Il est beaucoup plus élevé pour les os (de 15 à 25dB/cm-MHz)
2°) La couche de demi-atténuation (CDA) est l'épaisseur de matière qui soustrait du faisceau la moitié de son intensité. Puisque cela correspond à 3dB et que α représente le nombre de dB par cm, on a:
Pour les tissus mous par exemple, en prenant la valeur approché a=0,5dB/cm-MHz, on obtient une CDA de 6cm à 1 MHz et 1,5cm à 4MHz.
[1] …3ème du nom, car son fils, 4ème du nom, fut également physicien et a donné lui aussi le nom de Rayleigh à une autre unité de mesure!
[3] La loi des petits angles est facile à vérifier et à justifier. Vérification: prendre un angle de quelques degrés, le transformer en radians d'une part, puis calculer sinus et tangente, et constater qu'on obtient trois nombres très proches. Justification: Dans le cercle trigonométrique, constater que pour des petits angles, le sinus, l'arc de cercle et la tangente tendent à se confondre.