Physique   nucléaire.

Chapitre II: Noyau et isotopes.

II.D. Instabilité des noyaux.

Règle d’or pour ce qui est de la stabilité d’un noyau, règle d’ailleurs valable pour tout système physique : Adopter l’état le plus bas en énergie potentielle. Si un noyau trouve la possibilité d’évoluer vers un état d’énergie inférieure, donc plus stable, il le fera inévitablement, les seules questions qui se posent étant 1°) « comment » va-t-il le faire, ce qui fera l’objet de la section III.A, et 2°) « à quel moment », ce dont parlera la section III.B. La section précédente (II.C) dessinait dans la carte des nucléides la région à priori la plus stable, qui commence avec une certaine symétrie protons-neutrons pour les noyaux légers et s’incline progressivement vers un excès de neutrons pour les noyaux plus lourds. En fait cette région n’est pas une région de stabilité uniforme, et il s’agit avant tout d’affiner la vue qu’on en a.

On appellera « ligne de stabilité » la courbe qui suit au mieux le comportement évoqué plus haut, qui démarre donc selon la diagonale à 45° Z=N puis s’incurve peu à peu vers l’axe N. Par rapport à cette ligne de stabilité, on peut évoquer trois critères qui expliquent l’instabilité des noyaux : 1°) un excès de protons ou de neutrons ; 2°) une masse soit faible soit élevée ; 3°) un excès d’énergie pure.

 

1) Excès de protons ou de neutrons.

 

Un noyau qui se situe au-dessus de la ligne de stabilité est un noyau pour lequel Z est plus élevé que normal, qui donc présente un excès de protons. Un isotope de ce type tend à être instable : Il aura toujours tendance à rejoindre la ligne idéale par le chemin le plus court possible, à savoir la diagonale secondaire de pente -1. La remarque est la même pour la région située sous la ligne, qui correspond à un excès de neutrons : Les noyaux qui s’y trouvent auront eux aussi tendance à évoluer en suivant la diagonale secondaire, mais vers le haut cette fois.

 

La vallée de stabilité des noyaux.

 

Une excellente analogie évoquée par la figure ci-dessus consiste à voir la ligne de stabilité comme le fond d’une vallée. Une pierre qui se trouverait sur le flanc de la vallée aurait toujours tendance à rouler le long de la pente et à rejoindre le fond par le chemin le plus court… à condition que rien ne la bloque et ne l’empêche de satisfaire à cette tendance.

Le chapitre III montrera comment en pratique les isotopes peuvent suivre le chemin analogue à celui des pierres qui roulent à flanc de vallée. Il s’agira de la radioactivité bêta et de ses deux variantes symétriques, la bêta-moins pour un excès de neutrons, la bêta-plus pour un excès de protons.

 

2) Noyaux trop légers ou trop lourds.

 

Une vallée telle qu’on se la représente est un ensemble formé par et qui répond aux lois de la gravitation. Une rivière qui y pénétrerait d’un côté en sortirait de l’autre parce que la pente y serait toujours dans le même sens. La vallée nucléaire est d’une autre nature : Elle est en forme de cuvette et présente un creux en son milieu. Quelqu’un qui se trouverait à l’origine de la carte des nucléides, en Z=N=0, verrait s’ouvrir devant lui la vallée nucléaire. S’il lui vient l’intention d’en explorer le fond, son parcours commencerait par la région des noyaux légers : hydrogène, hélium,... où il constaterait que son chemin descend peu à peu. Arrivé dans la région des masses moyennes, en particulier dans la région du fer, il atteindrait un point bas au-delà duquel sa route se mettrait à remonter lentement vers des objets de plus en plus lourds, l’argent, l’or, puis le radium, l’uranium…

 

Le potentiel nucléaire sur la ligne de stabilité. 

 

Autrement dit la ligne dite de stabilité n’est pas uniforme. Sur cette ligne, la région du fer est la plus basse en énergie et constitue, sans avoir peur des mots, une sorte d’eldorado du nucléaire vers lequel tendent à se diriger tous les noyaux, en ce compris les isotopes qui se situent sur le fond de la vallée mais qui s’y trouvent soit trop lourds, soit trop légers.

1°) Les noyaux trop lourds ont un moyen simple de rejoindre la région du fer. Leur problème étant de devenir plus légers qu’ils ne sont, il s’agit pour eux de se briser en plusieurs morceaux par le phénomène dit de fission. Ce phénomène est spontané : Tout noyau lourd qui trouve la possibilité de se transformer en un noyau plus léger en éliminant une partie de sa masse le fera inévitablement, à échéance parfois courte… mais aussi parfois très longue. Dans la table de Mendeleev, le bismuth (Z=83) est le dernier élément qui possède un isotope parfaitement stable, étant entendu que même parmi les isotopes plus légers on en trouve beaucoup qui subissent la fission au travers de son avatar le plus fréquent qu’on appelle la radioactivité alpha.

2°) Les noyaux légers auraient aussi intérêt à devenir plus lourds, ce qu’ils ne peuvent bien sûr faire par eux-mêmes. Du lourd peut facilement s’alléger en éliminant, du léger ne peut devenir lourd… à moins que, seule possibilité, plusieurs noyaux s’agglomèrent pour ensemble former un objet plus massif, ce qu’on appelle la fusion. La fusion n’a rien de spontané dans des conditions physiques normales. Elle est même fortement contrariée par la barrière coulombienne (§II.B.3) , ou répulsion électrique, qui s’oppose au rapprochement de deux objets de charge positive. Il faut énormément d’énergie à ces deux objets pour s’approcher très près l’un de l’autre, tellement près que la force d’attraction nucléaire, de courte portée, entre en jeu et l’emporte sur la répulsion coulombienne.

Les possibilités d’en arriver là sont intéressantes à commenter :

A l’état naturel, la fusion est tout bonnement la source de l’énergie solaire. Les étoiles se sont formées par la lente contraction, due à la gravitation, de vastes nuages de matière errant dans l’espace. Au fur et à mesure que progresse la contraction, la pression au centre du système augmente. Si la pression augmente, la température fait de même. Sachant que la température n’est rien d’autre que l’énergie de mouvement des atomes, et sachant aussi que pour des quantités de matière importantes le processus ne connaît pas de limite, il arrive inévitablement un moment où les vitesses des noyaux sont tellement élevées qu’ils parviennent à franchir la barrière coulombienne et à fusionner. L’étoile « s’allume », et à partir de là le phénomène est auto-entretenu : Toute fusion dégage dans la matière le trop plein en énergie, ce qui maintient la température haute, le trop plein du trop plein étant éliminé vers l’extérieur pour donner… l’éclat et la douce chaleur du soleil !

Aux premiers temps de l’univers, les premiers nuages de matière ne contenaient que de l’hydrogène et de l’hélium. D’où proviennent tous les autres éléments chimiques qui composent notre planète ? Ils proviennent des premières générations d’étoile où par fusion progressive se sont forgés tous les éléments légers puis moyens jusqu’au fer et ses voisins. La mort de ces premières étoiles s’est souvent accompagnée d’explosions (les supernovas) qui ont dispersé dans l’espace tous ces atomes pour former de nouveaux nuages, puis de nouvelles étoiles entourées de planètes. Il semble que les éléments plus lourds, au-delà du fer, soient apparus lors de ces explosions très riches en énergie.

Dans la fusion comme dans la fission, des noyaux descendent en énergie potentielle. Mais l’énergie totale doit toujours être conservée, c’est là un principe intangible de la physique, ce qui suppose donc qu’ils en éliminent une partie vers l’extérieur, comme dans le cas des étoiles. L’idée des centrales nucléaires est de récupérer cela à notre profit. Nos centrales actuelles exploitent la fission. C’était le plus facile puisque le phénomène est parfaitement spontané et donc exploitable pour peu qu’on trouve sur terre les noyaux lourds qui conviennent. De grandes collaborations internationales étudient la possibilité de produire de l’énergie par fusion, problème autrement plus difficile. Dans la filière la plus prometteuse actuellement (2014) on en revient au principe des étoiles, à savoir porter un gaz à très haute température pour amorcer le processus. Problème : La température en question se chiffre en millions de degrés, il n’y a pas de matériau solide qui supporte cela et on ne voit donc pas comment fabriquer les parois destinées à contenir le gaz. La voie explorée se base sur le principe du « tokamak », machine en forme de tore dans laquelle règne un puissant champ magnétique. Un plasma qui s’y trouve porté à haute température reste confiné dans l’axe de l’anneau, sans pouvoir toucher les parois car tout ion qui se dirige vers la périphérie voit sa trajectoire incurvée par le champ. (Suggestion : dans Google-images, entrer « tokamak »)

 

3) Etats nucléaires excités.

 

Le troisième mode d’excès d’énergie nucléaire est tout à fait analogue à ce qui est connu au niveau atomique (§I.3). Dans un atome, les électrons occupent normalement les niveaux les plus bas possible en énergie, selon les règles en vigueur dans ce domaine. Quand un électron se voit porté vers un niveau supérieur, un niveau excité, il n’y reste jamais longtemps. Très vite il redescend en émettant vers l’extérieur des photons dont l’énergie est égale à la différence entre l’énergie du niveau de départ et celle du niveau d’arrivée.

Le même principe est d’application pour les protons et les neutrons : Ils forment normalement un état nucléaire fondamental où ils occupent deux par deux les niveaux d’énergie les plus bas possibles. On ne peut pas comme dans le cas des atomes se donner l’image d’orbites spatiales de type planétaire, mais rien n’empêche de s’imaginer des sortes de « puits de potentiel » munis de différents étages. La figure ci-dessous évoque les puits séparés des protons et des neutrons.

 

Excitation nucléaire.

 

Si pour une raison ou une autre un nucléon, proton ou neutron, se voit porter vers un niveau supérieur, il en redescendra très vite en cascade, cascade accompagnée de l’émission de photons emportant l’écart d’énergie entre l’état de départ et l’état d’arrivée. La différence entre les mondes atomique et nucléaire est la quantité d’énergie en jeu. Les photons nucléaires en possèdent beaucoup plus que les photons atomiques. Ce seront les rayons gammas, liés à la radioactivité du même nom.

Tous les noyaux sont concernés par cette règle.

 

4) Bilan.

 

En résumé, sur la ligne de stabilité évoquée plus haut, qui débute à 45° et s’incurve vers un excès de neutrons, se trouvent des isotopes parfaitement stables dans la région des masses moyennes parce que cette région est vraiment la plus basse de toutes en énergie potentielle. Elle comprend aussi la région des noyaux légers, qui tendent à évoluer vers la région du fer mais ne peuvent le faire dans des conditions normales à cause de la barrière coulombienne (…et c’est heureux car si l’hydrogène ou le carbone fusionnaient spontanément, nous ne serions pas là pour en parler !). Les noyaux de masse élevée, y compris ceux qui se situent sur la ligne, ne sont pas stables car ils évoluent spontanément vers les masses moyennes.

 

Zones d'instabilité nucléaire.

 

Lorsqu’on s’éloigne de cette ligne vers le haut ou vers le bas, ce qui correspond à un surplus de protons ou de neutrons, les noyaux sont instables et tendent à rejoindre le fond de la vallée par le chemin le plus court (la diagonale secondaire de pente -1). Pour un élément chimique de Z donné, on trouvera normalement une série d’isotopes trop riches en protons, un ou plusieurs isotopes stables, puis une série d’isotopes trop riches en neutrons.

Absolument tous les isotopes, qu’ils soient stables ou instables, connaissent des états excités qui se désintègrent vers l’état fondamental par émission de photons.

Des objets trop éloignés de la ligne de stabilité, vers le haut ou vers le bas, sont impossibles à former et sont donc inexistants.