Médecine Nucléaire |
Chapitre II: Gamma-caméra. |
II.C Le détecteur.
1)Le scintillateur.
Dans la caméra d'Anger standard, le milieu actif du détecteur est un cristal scintillateur d'un seul tenant, qui couvre donc toute la surface de la tête à l'arrière du collimateur. Son rôle est de transformer les gammas en photons de lumière visible ou ultraviolette. Un bon scintillateur possède trois qualités principales: 1°) Il doit être fortement absorbant pour les gammas, de façon à ce qu'il n'il n'y en ait pas une trop forte proportion qui traverse sans interagir (efficacité de détection). Par ailleurs l'absorption doit se faire préférentiellement par effet photoélectrique, car c'est sur cette base que se fera la différence entre les bons événements et le bruit. Il faut donc un matériau de haute densité et relativement épais. 2°) Il doit avoir un bon rapport de conversion, ce qui suppose que lors d'une interaction le nombre de photons lumineux susceptibles d'activer un photomultiplicateur soit le plus élevé possible. En effet, la résolution en énergie finale est liée à la fluctuation statistique à la source, laquelle varie en racine carrée du nombre de quantas. Par exemple si un type d'interaction génère en moyenne 100 photons utiles, la fluctuation est de √100 =10, soit 10% en résolution, alors que pour 1000 photons générés la fluctuation se réduit à √1000≈32, soit environ 3%. 3°) S'il est vrai que la scintillation doit être intense, il faut aussi qu'elle s'estompe le plus vite possible de façon à paralyser le moins possible le système. Si le temps de scintillation est trop long, le taux de comptage maximum peut se voir limité en proportion, ce qui augmente le temps nécessaire pour obtenir une statistique suffisante. Il peut aussi y avoir un effet d'empilement, à savoir que des signaux qui se chevauchent s'additionnent et sortent ainsi de la fenêtre de sélection.
En scintigraphie mono-photonique, le scintillateur le plus utilisé est encore aujourd'hui le NaI(Tl), cristal ionique semblable au sel NaCl mais plus lourd que lui, dopé à 1% en atomes de thallium qui font office de centres scintillants. Du point de vue historique, le NaI(Tl) est certainement le plus ancien cristal de ce genre en usage. Parce qu'il est hygroscopique, il a le défaut de mal vieillir, en ce sens qu'il tend à jaunir progressivement et à perdre ainsi de sa transparence. S'il reste dans la course, c'est d'une part parce qu'aujourd'hui on veille à le maintenir en conditionnement isolé de l'air, mais surtout parce qu'aucun de ses concurrents ne peut mieux que lui croître d'un seul tenant sur des surfaces aussi grandes que celles demandées par une gamma-caméra. C'est ainsi qu'il continue à supplanter ici des matériaux de haute qualité qui se sont imposés ailleurs, comme le germanate de bismuth BGO (Bi4Ge3O12) ou l'orthosilicate de lutétium LSO (Lu2SiO5 activé au cérium). Ce dernier en particulier est très utilisé en PET-scan mais convient moins en imagerie mono-photonique à cause du 176Lu, isotope radioactif du lutétium présent à raison de 2,6% dans l'élément naturel et qui est source de temps mort inutile.
La densité du NaI est de 3,7g/cm3. Pour une épaisseur de 1,25 cm, soit un demi-pouce, l'efficience de détection est d'environ 80% à 140keV (énergie du 99Tcm) et se réduit à 10% pour 511keV. Les photons émis ont une énergie de 3eV, mais étant donné que seulement 13% de l'énergie déposée est convertie en lumière, il faut déposer 23eV pour obtenir une émission. Pour un gamma de 140keV qui interagit, on peut donc s'attendre à quelque 6000 photons lumineux, dont 10 à 20% donneront un photoélectron à l'entrée d'un PM, ce qui induit une fluctuation statistique de l'ordre de 3% à 4% (1/√1000). Le temps de décroissance de la scintillation est de 230ns, ce qui autorise des taux de comptage supérieurs à 100.000 cps (230ns permettrait en principe d'aller au-delà de 106cps, mais il faut garder en tête que l'arrivée des gammas est purement aléatoire et que donc s'approcher d'un tel taux amènerait de nombreux empilements ou pertes d'événements).
2)Guide de lumière.
Certains fabricants insèrent entre le cristal scintillateur et les PMs une plaque de plexiglass de 2 ou 3cm d'épaisseur. Il s'agit là d'un simple guide de lumière inerte du point de vue de la production de signal, dont le but est de permettre aux gerbes de lumière provenant des interactions gammas de gagner en taille avant d'atteindre les phototubes. Cela peut sembler paradoxal, mais le fait est que, comme on le verra ci-dessous, une bonne localisation d'un événement suppose qu'il active plus d'un PM, ce qui pourrait ne pas être le cas s'il est généré tout contre et au milieu d'une photocathode.
Les surfaces de contact entre scintillateur et PMs, ou le cas échéant entre scintillateur et guide de lumière puis entre guide et PMs, sont couplées par une graisse optique de bonne transparence et d'indice de réfraction très proche du verre et du plexiglass. En effet, la moindre couche d'air provoquerait une réflexion partielle, ce qui nuirait à la récolte des photons.
3)Traitement du signal.
L'arrière du cristal scintillateur est couvert sur toute sa surface, à l'exception des bords, par une ensemble de photomultiplicateurs (PMs). De forme hexagonale ou ronde, ils sont le plus souvent disposés en nid d'abeille, ou réseau hexagonal. Leur dimension typique en surface d'entrée est de 4 à 5cm de diamètre.
Les photomultiplicateurs transforment le signal lumineux en signal électrique tout en l'amplifiant considérablement. Le principe de fonctionnement de cet instrument est exposé dans le sujet "radioprotection", §II.B.2.a. Quand un rayon γ interagit avec le cristal, les photons émis de manière isotrope activent normalement plusieurs phototubes simultanément. L'amplitude du signal dans chacun d'eux dépend de la proximité de l'événement: Un PM situé juste en face reçoit un grand nombre de photons et fournit un signal élevé; les PMs plus éloignés reçoivent moins de lumière et donnent donc des signaux plus faibles.
Les signaux générés simultanément par plusieurs PMs servent à deux choses: a) Ils sont traités séparément pour calculer la position; b) Ils sont additionnés pour mesurer l'énergie du gamma qui a interagi.
a.Localisation
Pour localiser les événements, la méthode ancienne, analogique, utilise à la sortie des PMs un jeu de résistances dont la valeur situe le photomultiplicateur en x d'une part et en y d'autre part. Sur base de la loi d'Ohm U=Ri, Le courant i généré par un événement fait apparaître dans ces résistances des différences de potentiel U qui sont une signature du point de production. Dans une version plus moderne branchée sur le numérique, les coordonnées (xi, yi) des PMs sont stockées une fois pour toutes en mémoire et un seul signal d'amplitude wi est enregistré pour chacun d'eux. Les wi sont utilisés comme coefficients de pondération pour calculer les coordonnées de l'interaction.
On reconnaît les formules qui donnent les coordonnées du centre de gravité d'un ensemble d'objets dont on connaît la masse et la position. De même que la position d'un centre de gravité peut-être calculé avec une bonne précision même si les objets qui composent le système sont des objets étendus, ici aussi un événement peut être localisé à quelques millimètres près malgré le fait que les différents photomultiplicateurs qui fournissent l'information ont des diamètres de quelque 5cm. Ce principe du calcul d'un centre de gravité est en fait l'une des bases de la caméra d'Anger.
La résolution spatiale intrinsèque Ri est celle qui provient du système de détection constitué du cristal et des PMs , indépendamment donc du collimateur. Elle est limitée entre autres par les fluctuations dans le taux de comptage pour des événements identiques. Les valeurs des wi peuvent varier avec un écart type de √wi, ce qui conduit à une distribution équivalente dans les coordonnées x et y. En pratique Ri est estimé par mesure sur fantôme de plomb présentant des fentes de largeurs variables et placé contre le cristal nu, sans collimateur.
Dans un autre critère de performance, on constate de légères distorsions de linéarité induites par les zones aveugles qui séparent les phototubes. Elles se manifestent par un glissement du comptage vers le centre des PMs, ce qui provoque un excès de densité à cet endroit, et un défaut de densité entre les PMs. Comme il s'agit d'un phénomène systématique, il peut être corrigé par ordinateur.
b.Mesure de l'énergie.
Une caractéristique importante de la scintillation est que le nombre de photons de lumière générés par une interaction est proportionnel à l'énergie déposée. En additionnant les signaux reçus simultanément par les PMs on a donc une bonne mesure de l'énergie libérée par le rayon gamma. Pendant l'acquisition, on peut donc construire en temps réel le spectre d'interaction, dont les caractéristiques sont connues: Un pic photoélectrique situé en Eγ et en dessous de lui une composante continue due à l'effet Compton (voir "radioprotection", §I.B.4 et 5). C'est le pic photoélectrique qui fournit la signature la plus propre des bons événements, parce qu'il est fait de ceux qui délivrent toute l'énergie du gamma en une seule fois et en un seul point. Afin de sélectionner au mieux ces bons événements et d'éliminer une grande partie du bruit de fond, on définit sur le spectre une fenêtre en énergie qui se limite au pic d'absorption totale. Les signaux qui tombent dans cette fenêtre sont acceptés, ceux qui tombent en dehors sont rejetés.
La diffusion Compton se produit en abondance à l'intérieur du corps du patient. Les photons secondaires qui parviendraient à franchir le collimateur et à interagir avec le cristal ne peuvent y laisser qu'une énergie inférieure à celle du gamma initial (partie gauche du schéma ci-dessous). Ils se retrouvent en dehors de la fenêtre de sélection et sont donc refusés.
Les gammas primaires qui franchissent le collimateur et interagissent avec le cristal peuvent le faire soit par effet photoélectrique, auquel cas il s'agit d'un bon événement qui sera accepté, soit par effet Compton, et alors de deux choses l'une: Ou bien le gamma secondaire sort du cristal sans interagir, de sorte que l'énergie déposée est inférieure à Eγ et sort de la fenêtre; ou bien il interagit dans le cristal par effet photoélectrique, de sorte que l'énergie totale déposée correspond bien à Eγ mais se trouve partagée en deux endroits écartés l'un de l'autre, ce qui conduira à une erreur dans le calcul de la position (partie droite du schéma ci-dessus, où l'écart entre les deux points d'interaction n'est le plus souvent pas beaucoup plus grand que de quelques millimètres à 1cm)
Il peut arriver que deux gammas interagissent en même temps mais en principe la somme des deux signaux donne un résultat au-delà de la fenêtre, résultat qui est donc ignoré. Toutefois, si les deux événements activent des ensembles de PMs disjoints, les systèmes actuels sont souvent capables d'identifier le caractère simultané de deux événements indépendants, de les traiter séparément et, le cas échéant, de les accepter tous les deux.
L'efficacité intrinsèque Gi tient compte du pourcentage des gammas qui atteignent le cristal et y interagissent, ce qui s'évalue par 1-e-µD, où µ est le coefficient d'absorption des gammas dans le scintillateur et D l'épaisseur de celui-ci. En pratique il y a lieu de multiplier ce nombre par un coefficient f, fraction des interactions qui génèrent un signal à l'intérieur de la fenêtre et sont donc acceptées, pour donner ce qu'on pourrait appeler l'efficience de mesure Gm.
c.Construction de l'image.
Pour chaque événement accepté, une mémoire correspondant aux coordonnées x et y calculées est incrémentée de une unité. En bout de course chaque mémoire contient donc l'intégrale du pic photoélectrique à l'endroit correspondant, intégrale qui est une mesure de l'intensité du rayonnement gamma émis par la zone imagée située juste en face. Sans autre traitement mathématique nécessaire, on a déjà là les pixels de l'image finale, image en projection de l'activité dans le champ de vue (FOV, ou "field of view").