Radiologie conventionnelle |
Chapitre III: Le tube à rayons X |
III.D.Fonctionnement
1) Problèmes de chaleur.
Soit un cliché à 100kV demandant une charge de 600mAs et qui dure 2s. Le courant tube est donc de 600/2=300mA. La puissance tube vaut P=Vi=100kVx300mA=30kW! L'énergie déposée à l'anode vaut 30.000wx2s=72000J… le tout concentré sur une surface de l'ordre du mm²!!! On comprend que des conditions de ce genre exigent un bon contrôle des élévations de température, donc une bonne gestion des flux de chaleur.
Nous commencerons par un rappel de quelques notions de base de calorimétrie et nous décrirons ensuite la manière de les exploiter dans le problème qui nous occupe.
a) Notions utiles de calorimétrie (rappel).
On distingue trois modes de transport de la chaleur: la conduction, la convection,et l'émission de rayonnement thermique:
- La conduction est le mode de propagation où la chaleur s'écoule au travers de la matière d'une région de température donnée vers une région de température plus basse, et cela sans qu'il y ait déplacement de matière.
Dans une configuration donnée (géométrie, surfaces d'écoulement,…) le flux de chaleur est proportionnel à la différence de température entre la région chaude et la région froide ( Q∞T1-T2). le coefficient k de proportionnalité, appelé coefficient de conductivité thermique, dépend de la nature du matériau et mesure la facilité avec laquelle ce matériau laisse passer la chaleur. On distingue ainsi les bons conducteurs thermiques (k élevé) comme les métaux, et les bons isolants thermique (k faible) comme le bois, la laine de verre ou l'air.
- La convection est un transport de la chaleur par déplacement de matière, ce qui suppose un état fluide, soit gazeux soit liquide. Le mode le plus simple est lié au jeu entre les forces de gravitation et d’Archimède : Si une zone chaude, de densité plus faible se trouve en position basse par rapport à une région plus froide donc plus dense, elle entame un mouvement d’ascension, emportant avec elle son énergie thermique.
Ce schéma simple peut être dépassé et généralisé en « forçant » la convection par tous moyens du genre moteurs, ventilateurs,…
- Le rayonnement thermique est souvent méconnu alors qu’il joue un rôle premier dans les sciences fondamentales : il apporte ni plus ni moins qu’une des preuves des origines de l’univers, il explique les caractéristiques acquises par l’œil pendant l’évolution… Plus modestement quand on dit d’un objet qu’il est « chauffé à blanc », c’est encore du rayonnement thermique dont on parle.
Tout objet quel qu’il soit et quelle que soit sa température T émet en permanence des photons essentiellement de type infra-rouge.
Lorsque la température monte, l’énergie ainsi rayonnée augmente, et elle augmente même extrêmement rapidement puisqu’elle le fait en puissance 4 de la température absolue : Q∞T4 (loi de Stefan). Ainsi un objet porté à 900°C, soit environ 1200K, rayonne 250 fois plus d’énergie qu’à 20°C (≈300K). On comprend qu’il y a là une voie extrêmement efficace pour une région chaude d’évacuation de la chaleur vers une région plus froide.
Il faut ensuite rappeler les caractéristiques de capacité thermique des corps : Pour un même apport de chaleur, un corps de haute capacité thermique verra sa température monter moins qu’un corps de capacité plus faible.
- La chaleur spécifique c d’un corps est par définition « la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1K, ou 1°C, la température de l’unité de masse ». Ainsi, les trois matériaux le plus souvent utilisés comme base d’anode dans les tubes à rayons X, le tungstène, le molybdène et le carbone ont des chaleurs spécifiques respectivement de c=0.13, 0.25 et 0.71J/g.K.
- La capacité calorifique Cc d’un objet de masse m répond à la même définition mais pour une masse quelconque : Cc =cm. En somme c est une grandeur intensive, alors que Cc est la grandeur extensive correspondante.
Plus m est élevé plus l’objet peut stocker de chaleur, d’où la tendance à construire des anodes plutôt massives. A noter que si le carbone a une chaleur spécifique cinq fois plus élevée que le tungstène, sa densité est quant à elle 8 fois plus faible, ce qui se paie en volume.
Typiquement, les anodes tournantes de tungstène ont des capacités calorifiques de 70kJ, 160kJ pour les anodes en molybdène et 50kJ ou plus pour les anodes de graphite.
b) Evacuation de la chaleur d’anode.
Le principe de base dans la gestion du problème est qu'aucun élément du tube ne doit dépasser une température critique au-delà de laquelle il pourrait subir des dommages. On table en premier lieu sur une capacité élevée de stockage de la chaleur, mais si cette capacité se voyait dépassée, il s'agirait alors de s'assurer que l'énergie en excès soit évacuée efficacement.
Le mécanisme est le suivant: Le faisceau d'électrons dépose très localement au niveau du foyer une grande quantité de chaleur qui élève fortement la température à ce niveau. L'écart de température favorise l'écoulement de chaleur vers la base plus froide qui la stocke autant que faire se peut.
Si la quantité d'énergie thermique est importante, la température de la base s'élève de sorte que peu à peu et de façon de plus en plus efficace entre en jeu le phénomène de rayonnement thermique. Ce rayonnement traverse le vide et la paroi de verre et se voit absorbé essentiellement par l'huile dans laquelle baigne le tube. Par conduction au travers de l'huile mais aussi par convection, la chaleur atteint la gaine. La circulation d'eau dans un serpentin qui tapisse la paroi interne de la gaine contribue à une évacuation définitive vers l'extérieur.
c) Puissance admissible et puissance conventionnelle.
L'énergie déposée à l'anode pour un cliché donné est obtenue en multipliant la puissance tube, ou "puissance instantanée", par le temps de pose: E=Pt=Vit. A très peu de chose près (l'énergie emportée par le faisceau de rayons X), cette énergie se transforme en chaleur. Le lien entre un apport de chaleur à un objet massif et l'élévation de température ΔT de cet objet est donné par E=cmΔT où on reconnaît la capacité calorifique Cc=cm. Sachant que le paramètre critique est ΔT (la température ne peut dépasser une valeur donnée) et que la capacité thermique est ce qu'elle est, on en déduit que pour un temps de pose donné, la puissance tube ne peut dépasser une valeur limite: la puissance admissible. Par ailleurs plus le temps de pose augmente, plus la puissance admissible diminue.
Ce raisonnement simple doit bien sûr être complété par des aspects plus complexes comme la rapidité de conduction de la chaleur et l'évacuation d'énergie par rayonnement. La véritable dépendance de la puissance admissible vis-à-vis du temps de pose est illustrée par la figure ci-dessous, typique d'un "foyer 100kW". La raison pour laquelle on parle de "foyer 100kW" sera donnée en fin de paragraphe.
La courbe présente trois régimes de variation correspondant à des temps courts, moyens ou longs. Dans la région des temps courts, la puissance admissible ne descend que lentement: Nous avons affaire à des quantités de chaleur relativement faible, facilement absorbées par l'anode. La région suivante, celle des temps moyens montre une variation beaucoup plus rapide de la puissance admissible qui manifestement doit être adaptée de point en point selon la durée du cliché. Nous sommes là dans un régime où l'anode sature. La capacité de stockage maximum est atteinte de sorte que des temps de pose accrus doivent être compensés sans aucun compromis par une diminution de la puissance de fonctionnement. Dans la dernière région, la vitesse de décroissance de la courbe diminue, ce qui marque l'apparition d'un mode nouveau d'évacuation de la chaleur. C'est le rayonnement thermique qui intervient là et qui contribue à rétablir l'équilibre malgré des temps de fonctionnement plus longs.
Chaque tube, compte tenu de ses caractéristiques, admet une courbe de ce type. On convient que pour caractériser la courbe à laquelle on a affaire, on précise la puissance maximum admissible pour un temps de pose de 0.1s. Le fait de spécifier cette valeur très particulière définit complètement l'entièreté de la courbe, donc la puissance admissible pour tous les temps de pose. La valeur de P en ce point est dite "puissance conventionnelle". Sur le schéma ci-dessous elle vaut 100kW, raison pour laquelle on parle de "foyer 100kW".
d) Charge permanente maximale.
La charge permanente maximale est une notion qui se rattache à un fonctionnement du tube en continu, ou en tout cas pendant un temps très long, comme cela se passe en radioscopie. Il est clair qu'il doit exister des puissances de fonctionnement suffisamment faibles pour que le travail en continu soit possible, telles que l'anode parvienne en permanence à assurer l'équilibre thermique grâce aux modes d'évacuation de la chaleur disponibles. Il est évident également que si on allait vers des puissances élevées, les voies d'équilibre finiraient par saturer au point de mettre en cause la survie du tube. Entre ces deux régions de fonctionnement il existe une valeur limite qu'on appelle la charge permanente maximale. C'est donc la valeur qu'il s'agit de ne pas dépasser si on souhaite travailler en continu.
L'expression "charge permanente" a malheureusement un côté ambigu puisqu'il s'agit en réalité d'une puissance de travail maximum.
2) Modes de fonctionnement.
a) Cliché isolé.
C'est le mode de fonctionnement usuel en radiologie conventionnelle. Les clichés sont bien séparés, l'anode a le temps de se refroidir, en principe du moins, étant entendu que chaque cliché doit tenir compte de celui qui l'a précédé. Pour un temps de pose donné on peut utiliser la puissance maximum admissible telle que définie ci-dessus. Toutefois, plutôt que d'utiliser une courbe montrant Pmax en fonction du temps de pose, il est plus intéressant de se dessiner des courbes qui relient les trois paramètres de travail, la tension V (en kV), le courant tube (en mA) et le temps de pose. Des abaques de ce type indiquent le courant maximum à ne pas dépasser si V et t sont fixés, la tension à ne pas dépasser si I et t sont fixés et le temps à ne pas dépasser si I et V sont fixés. La figure ci-dessous est l'abaque d'un foyer 100kW. Le fait qu'il s'agit d'un "foyer 100kW" se marque au passage par la valeur t=0,1s. En ce point, chaque courbe est telle que VI=100kW (voir "puissance conventionnelle" au §1c)
Il est fréquent également de trouver des abaques qui montrent la tension en y et le temps en x, chaque courbe correspondant à une valeur différente du courant.
Les tubes qui proposent deux foyers et deux vitesses de rotation demandent quatre abaques, un par foyer et par vitesse de rotation.
b) Sériographie.
Certaines applications, en angiographie notamment, demandent une série de clichés rapprochés de façon à observer l'évolution dans le temps de tel ou tel paramètre. Pour éviter de mettre le tube en danger, il est nécessaire que deux clichés consécutifs soient séparés par un temps de repos suffisant. C'est la charge permanente maximale qui sert ici de référence: Si on considère que le temps de pose et le temps de repos forment un cycle de fonctionnement, la puissance de travail du tube sur un cycle ne devra pas dépasser l'équivalent en fonctionnement continu ( puissance x temps de pose < charge permanente maximale x temps d'un cycle). Dans le schéma ci-dessous, on dira naïvement qu'une surface "bleue" ne peut dépasser la surface "rouge" sur un cycle.
De nos jours, c'est l'ordinateur qui prend en charge la commande des paramètres du cycle et assure de bonnes conditions de fonctionnement pour le tube.
c)Radioscopie.
En radioscopie, s'il s'agit de fonctionner en régime de puissance continue, la valeur de référence à ne pas dépasser est la charge permanente maximale, par définition. Par sécurité, la puissance tube est toujours maintenue en deçà de cette valeur limite.
3) Tube Straton™.
Comme nous l'avons vu, ce tube met en jeu des principes résolument nouveaux (écrit en 2011): rotation de l'ensemble du tube, déflexion magnétique du faisceau,... Pour ce qui nous occupe dans ce chapitre, l'important est que la paroi arrière de l'anode est aussi la paroi arrière du tube. Elle est donc en contact physique permanent avec le bain d'huile extérieur. De plus cette huile circule constamment autour du tube puis dans un circuit extérieur de refroidissement de sorte que la chaleur qui lui a été transmise est sans arrêt évacuée.
Selon le fabricant, le problème de chaleur est complètement maîtrisé, ce qui autorise des puissances permanentes de fonctionnement très élevées. S'il en est ainsi, et si ce tube se généralise, la plupart des considérations rencontrées dans ce chapitre seraient à revoir.
A l'heure actuelle (2011) il semble qu'il soit essentiellement dédié à l'équipement de scanners.