Physique pour la médecine

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Mammographie

Radiologie conventionnelle

Chapitre VII: Matériel dédié

VII.A La mammographie.

Ce chapitre détaille ce qui, en radiologie, est particulier à la mammographie, étant entendu que l’essentiel de la technique relève de ce qui a déjà été exposé précédemment, que ce soit du point de vue du tube, du faisceau, de l’interaction des rayons X avec la matière ou encore leur détection.

1)     Le tube à rayons X.

a) Cathode et foyer.

Un des objectifs majeurs de la mammographie est la détection précoce du cancer, donc des tumeurs naissantes. Elle est pour cela exigeante en termes de résolution d’image, de façon à repérer les microcalcifications, et aussi à bien les séparer lorsqu’elles sont voisines. Un tube à rayons X dédié à la mammographie présente typiquement deux filaments de cathode qui génèrent des foyers fins : Un foyer de 0,3mm à 0,4mm(toujours typiquement) pour un travail sein contre détecteur, et un foyer plus fin encore, de 0,1mm à 0,15mm, en mode agrandissement, c’est-à-dire quand le détecteur est éloigné du sein. En effet le mode agrandissement joue uniquement, comme on le verra, sur la géométrie d’éloignement objet-récepteur, technique où le foyer voit son image projetée agrandie en proportion et où il n’y aurait donc pas avantage du point de vue de la résolution à garder la même taille pour la source de rayons X.

 

Double foyer

 

Le foyer représente, par définition, la zone d’impact du faisceau d’électrons qui est donc ici très réduite. La concentration est telle que le courant tube devra être strictement limité à des valeurs plutôt faibles afin de ne pas endommager la piste, et ce d’autant plus que le point de fusion du matériau qui compose la piste d’anode est bas, comme c’est le cas pour molybdène et le rhodium (voir ci-dessous), beaucoup moins pour le tungstène. C’est pourquoi le contrôle du courant tube par feedback en provenance des cellules de détection s’avère ici, en mammographie, plus important qu’en radiographie classique.

b) Anode et filtre

C’est de justesse que la mammographie s’est trouvé, en radiologie, une gamme de fonctionnement qui lui convient. En effet, la différence d’absorption des rayons X dans les tissus normaux, d’une part, et dans les tissus cancéreux d’autre part est très faible au-delà de 30keV, donc dans la majeure partie de la zone de fonctionnement d’un tube à rayons X, qui pour rappel s’étend jusqu’à 150keV environ. En-dessous de 30 keV, la différence d’absorption, et de là le contraste sur image, s’accentue de plus en plus mais en -dessous de 10 keV l’absorption est tellement élevée qu’il faudrait de très longs temps d’exposition pour obtenir un résultat convenable, avec pour conséquence des doses d’irradiation élevées.

En pratique la gamme en énergie qui convient est en gros comprise entre une limite inférieure de 10 ou 15keV et une limite supérieure de 25 ou 30 keV, pas au-delà ni en-deçà puisqu’au-delà les rayons atteignent le détecteur mais ne participent pas au contraste, et qu’en-deçà ils n’atteignent pas le détecteur mais contribuent à la dose. En l’absence de source monochromatique qui émettrait dans cette fenêtre, on en reste à la production classique par le tube à rayons X de rayonnement bremsstrahlung… mais aussi de raies K caractéristiques qui seraient émises au bon endroit et représenteraient alors une source de photons abondante très proche de ce que donnerait un émetteur monochromatique. Il se fait que le molybdène (Mo) présente des raies Kα et Kβ de bonne énergie (respectivement 19.6 et 17.5 keV), raison pour laquelle ce métal est très utilisé comme matériau d’anode en mammographie. C’est vrai aussi pour le rhodium (Rh), avec des énergies de 22.7 (Kα) et 20.2 keV (Kβ). L’inconvénient pour le molybdène comme pour le rhodium est leur point de fusion relativement bas, ce qui limite le courant tube maximum utilisable. Ce dernier point justifie le fait que certains fabricants en restent aux anodes classiques en tungstène (W), matériau dont le point de fusion est beaucoup plus élevé, et malgré le fait que ce genre d’anode ne propose dans la fenêtre utile que du rayonnement bremsstrahlung et que par ailleurs le tungstène émette des raies L assez indésirables dans les énergies 8 à 10keV. Le tungstène profite de son efficience élevée en termes de production de bremsstrahlung mais aussi du développement de la détection numérique qui permet de travailler par logiciel des contrastes qui paraîtraient naturellement faibles. Le fait est que ce matériau semble de plus en plus utilisé depuis l’arrivée du tout digital en mammographie.

A la sortie du tube on trouve, comme ailleurs en radiologie, une fenêtre en béryllium très fine, de 0,5 à 1mm d’épaisseur, qui absorbe la composante très basse énergie du faisceau X. Par contre ici on trouve de surcroît, et c’est là une particularité de la mammographie, un filtre supplémentaire qui contribue lui aussi à absorber les photons de basse énergie mais qui a en outre la propriété d’affaiblir la composante haute énergie, de sorte que la transmission des rayons X se limite à la fenêtre utile en énergie, idéalement entre 15 et 20keV. Pour ce faire, on exploite la propriété d’un élément de présenter un flanc d’absorption abrupt juste au-delà de la raie Kα (« K-edge » : voir par exemple le sujet « radioprotection », ChI.B.4.a ). La brusque remontée de l’absorption, suivie d’une décroissance progressive, permet d’éliminer en grande partie la région haute énergie du faisceau émis à l’anode. Juste sous le flanc, l’absorption est beaucoup plus faible puis remonte vers les basses énergies, ce qui répond au souhait de limiter la transmission à une fenêtre convenable.

 

Spectre filtré en mammographie

 

Ainsi, un filtre en molybdène (Mo) présente un K-edge à 20,0keV, ce qui convient à une anode du même matériau mais pas à une anode de rhodium, puisque dans ce cas les raies K seraient fortement déprimées. Le rhodium (Rh) possède un K-edge à 23,23keV, ce qui en fait un filtre adapté aussi bien à lui-même (anode en rhodium) qu’au molybdène. Avec un K-edge à 25,52keV, l’argent (Ag) est aussi utilisé comme filtre, sachant qu’il ne convient pas comme anode vu que son point de fusion est fort bas (962°C). Pour une anode de tungstène, le filtre peut être de molybdène, de rhodium ou d’argent… mais aussi d’aluminium comme en radiologie classique et malgré le fait qu’il n’y ait pas ici de K-edge.

Un profil d’absorption tel que montré dans la figure ci-dessus explique pourquoi la mammographie se doit de travailler à bas voltage. En effet, après la brusque remontée due au K-edge, l’absorption diminue à nouveau pour atteindre des valeurs faibles vers 40kV et au-delà. Si la tension tube était réglée à des valeurs supérieures, le filtre laisserait passer des rayons X de haute énergie dont on sait qu’ils ne participent pas au contraste. Le fonctionnement en routine utilise typiquement du 30kV[1].

2)    Le faisceau.

Après positionnement, le tube se trouve au-dessus de la tête de la patiente, dans une orientation sagittale. Le foyer se situe pratiquement dans le plan du thorax, alors que la cathode est en-deçà.  Etant donnée l’ombre d’anode (voir radiologie conventionnelle, ChIII.B), le tube doit être incliné de manière à ce que le faisceau couvre la zone d’intérêt. Pour un foyer situé à 65cm du film et une longueur de film de 30cm, la limite extérieure du faisceau (celle qui est rasante pour l’anode) doit former un angle de atn(30/65)≈25° par rapport à la verticale. Certains tubes ont le foyer situé sur la tranche de l’anode tournante, avec une pente d’anode résultante de 0° (dessin de gauche ci-dessous). Dans ce cas le tube doit être pivoté de la totalité des 25°. Pour une anode plus classique qui présenterait par exemple une pente de 16° (dessin de droite ci-dessous), l’inclinaison se limite à quelque 8°.

 

Mammographie: pente d'anode

 

A noter qu’une collimation stricte limite le faisceau côté cathode à un plan vertical proche de celui du thorax, ceci afin d’éviter que des régions du corps autres que le sein soient inutilement exposés.

 

Mammographie: collimation

 

Eventuellement, une collimation ajustable peut limiter l’exposition à une portion du champ de vue choisie selon le cas.

Accessoirement, la configuration obtenue en définitive permet de profiter de ce qu’on appelle l’effet talon[2] (voir note de bas de page et/ou le sujet « radiologie conventionnelle) dans la distribution d’intensité du faisceau. En effet cet effet est tel que l’intensité faisceau est plus élevée côté thorax, là où les tissus à traverser sont plus épais, et moins élevée à l’extrémité du sein, là où l’épaisseur est plus faible. Il en résulte, grosso modo, une sorte d’homogénéisation de l’intensité faisceau qui active le détecteur.

3)    Compression du sein.

Les avantages d’une compression du sein sont de différents ordres :

Ainsi, il y a tout d’abord un avantage mécanique puisqu’il y a immobilisation, donc réduction d’un éventuel flou de mouvement.

Ensuite, cela réduit l’épaisseur moyenne des tissus traversés par le faisceau. Il en résulte 1) une diminution de la partie diffusée par effet Compton, et 2) une augmentation correspondante du rayonnement primaire transmis. La diminution de la diffusion entraîne une réduction de la dose absorbée, mais aussi du bruit qui tend à voiler l’image finale. Cette diminution du voile de bruit, liée à l’amélioration de la transmission (donc du « tout ou rien », ou du « oui et non » ou encore du « noir et blanc »), aboutit à un meilleur contraste d’image.

Non seulement cela réduit l’épaisseur moyenne, mais cela tend aussi à l’uniformiser et donc à égaliser l’exposition du film d’un bout à l’autre de la zone imagée. Ce dernier point vient en appui de ce qui a été dit de l’effet talon à la fin du paragraphe précédent. Par ailleurs, toute la structure du sein se rapproche d’un plan horizontal moyen, ce qui diminue le flou géométrique dû à la dispersion des distances par rapport au détecteur.

Enfin, il y a étalement des structures, ce qui permet d’augmenter la distance moyenne entre deux points observés, donc d’améliorer la discrimination entre objets de petites dimensions… autrement dit la définition d’image.

4)    Grille anti-diffusante.

La proportion de rayonnement diffusé par le sein est importante, en particulier en raison de la gamme d’énergie assez basse que privilégie la mammographie, gamme d’énergie où le phénomène Compton est élevé. Il en résulte une baisse de contraste dans l’image finale puisque la diffusion tend à imposer un voile de bruit sur l’ensemble de la surface de détection. Si Rdp est la proportion de la composante diffusée par rapport à la composante primaire dans le rayonnement transmis, la perte de contraste est donnée, en pourcentage par le coefficient Pc=1/(1+Rdp). Par exemple pour un sein qui ferait, en compression, 6cm d’épaisseur on aurait typiquement Rdp=0,7 et de là un contraste réduit à 1/(1+0,7)=59% de la valeur idéale.

Les grilles à structure linéaire permettent la réduction du diffusé selon une direction du plan transverse mais le laisse passer dans l’autre direction. Les lames parallèles en plomb sont séparées par un milieu léger comme la fibre de carbone. Le rapport de grille est typiquement de 5 à 1 (1,5mm de hauteur pour 0,3mm de distance entre les septas, ce qui par ailleurs donne une fréquence de grille d’une trentaine de septas par cm). L’ombre de grille peut être gommée par un simple mouvement de translation ou d’oscillation selon la direction perpendiculaire aux septas)

Les grilles à structure cellulaire absorbent le Compton dans les deux directions. Le rapport de grille est typiquement de 4 à 1 (2,4mm de hauteur pour 0,6mm en largeur de cellule, pour une quinzaine de cellules par cm). Ces grilles ont l’avantage de pouvoir en rester à l’air comme milieu intermédiaire, plutôt qu’un matériau léger mais solide comme la fibre de carbone, ce qui permet une meilleure transmission du rayonnement direct. Par contre, pour les septas, elles doivent dans ce cas préférer au plomb un métal comme le cuivre, plus rigide mais aussi plus léger et moins absorbant ce qui suppose, pour obtenir une absorption comparable du diffusé, des épaisseurs de paroi pratiquement deux fois plus élevées (0,03mm pour le cuivre contre 0,015mm pour le plomb). Par ailleurs, la suppression de l’ombre de grille demande ici des mouvements plus compliqués que dans le cas d’une grille linéaire.

Outre la grille, un autre moyen simple pour réduire le rayonnement Compton sur l’image consiste à éloigner du sein le détecteur, puisque dans ce cas les rayons obliques s’échappent pour la plupart avant d’atteindre la surface sensible (technique dite de l’air gap, ou trou d’air), au point de rendre éventuellement inutile la présence de la grille anti-diffusante. A noter qu’un éloignement du détecteur entraîne un agrandissement de l’image par simple effet géométrique, au point qu’il devient difficile de visualiser la totalité d’un sein de taille normale. Cela-dit, la mammographie recourt fréquemment à ce procédé, dans le but précisément d’obtenir un agrandissement d’une région particulière, avec pour conséquence secondaire mais bienvenue la réduction du rayonnement diffusé. Ceci fera l’objet du prochain paragraphe.

 

Mammographie: air gap

 

A noter que la mammographie numérique est mieux armée que la mammographie analogique face au problème de la diffusion. En numérique toute la partie Compton du spectre de rayonnement peut être éliminé par simple fenêtrage sur le pic photoélectrique, à l’exception de la zone de recouvrement (voir par exemple le sujet « médecine nucléaire », chII.C.3.b). On peut aussi, par logiciel, accroître artificiellement des contrastes naturellement faibles. C’est pourquoi le rôle de la grille anti-diffusante est plus faible en numérique qu’en analogique.

En mammographie analogique, l’absorption partielle du rayonnement primaire par la grille entraîne un facteur Bucky de l’ordre de 2 ou 3, ce qui implique des doses de radiation accrues au niveau du sein, désavantage qu’on considère compensé par l’amélioration en contraste d’image[3]. Etant donné que le facteur Bucky se réfère à une densité optique, sa définition n’est pas vraiment transférable aux détecteurs numériques, mais le principe est équivalent. En mode agrandissement, la suppression de la grille réduit d’autant la dose imposée.

5)    Agrandissement.

Le fait d’éloigner le plan de détection du sein entraîne, par simple effet de géométrie, un agrandissement de l’image. Selon la distance, l’agrandissement peut aller de 1,5X à 2X. Il permet une meilleure résolution, une séparation accrue et une meilleure observation des microcalcifications. Par ailleurs, comme vu précédemment, le principe de l’air gap réduit considérablement le diffusé au niveau de la détection, au point de rendre quasi inutile la grille anti-diffusante. Le même effet géométrique toutefois augmente également le flou d’image. Pour contrer ce désagrément on bascule sur le foyer le plus fin dont dispose le tube, le plus souvent un foyer de 0,1mm. Mais comme toute l’intensité du faisceau se trouve alors concentrée sur une surface réduite, on se voit contraint, pour éviter un échauffement excessif, d’adopter un plus petit courant tube et donc d’allonger la durée du cliché pour atteindre l’exposition requise par le cliché. D’où une plus grande sensibilité de la technique à de mini-mouvements de la patiente, d’autant plus que ces mouvements se voient par définition amplifiés par l’agrandissement.

6)    Détection.

On trouve en mammographie toute la gamme de détection analogique et numérique telle que décrite aux chapitres V.A et B (couple film-écran) et VI (détection numérique). Ce fut un temps le dernier bastion de l’analogique grâce aux possibilités des couples films-écrans à faible latitude et haut contraste, capables de distinguer les tissus à faible différence d’absorption que présente le sein. A noter que l’écran renforçateur est ici normalement unique et situé en aval du film afin de minimiser l’absorption des rayons X. Aujourd’hui encore, la détection analogique conserve des atouts, notamment économiques puisque pour un coût plus faible on obtient des résultats somme toute de qualité, mais aussi en performance dans un certain nombre de situations particulières à la mammographie qu’il ne nous appartient pas de discuter ici. Toutefois l’arrivée des écrans plats matriciels, en particulier à conversion directe, a permis à la détection digitale de s’implanter et de se généraliser ici comme en radiologie classique. Les écrans plats matriciels présentent, en fonction de l’exposition, une courbe de réponse linéaire plus large que la courbe caractéristique du couple film-écran. De plus, et par définition, ils gardent en mémoire un nombre associé à chaque pixel, ce qui permet de retravailler l’image après l’acquisition pour accentuer par calcul des contrastes faibles. On distingue ainsi l’image formée des données primaires, avant traitement (for processing image) de l’image proposée à la visualisation après calcul (for presentation image)

7)    Exposeur automatique.

Contrairement à l’habitude en radiologie conventionnelle, l’exposeur automatique (voir Ch.IV.C.2) est logé ici au-delà du détecteur. On retrouve là le souci constant en mammographie de limiter les épaisseurs de matière à interposer sur le trajet du faisceau, faisceau de faible énergie donc très sujet à l’absorption et à la diffusion.

[1] La faible tension tube de travail explique pourquoi, dans le cas d’une anode en tungstène, le filtre est parfois en aluminium, comme en radiologie classique, puisque le spectre d’émission de type bremsstrahlung démarre à zéro à l’énergie nominale, pour croître ensuite vers les basses valeurs d’énergie.

[2] Rappelons que l’effet talon vient de ce que les rayons X qui sortent de l’anode dans une direction plutôt proche de la pente d’anode ont en moyenne un trajet de sortie plus élevé que ceux qui sortent dans une direction proche de la perpendiculaire à l’anode. Ils sont donc plus fortement absorbés, et l’intensité de faisceau correspondante s’en voit affaiblie.

[3] Pour rappel, le facteur Bucky est le rapport des expositions nécessaires pour obtenir la même densité optique sur le film avec la grille et sans la grille. Puisque le sein est avant la grille, augmenter l’exposition entraîne une augmentation de la dose. Par ailleurs, étant donné que la définition du facteur Bucky se réfère au noircissement du film, elle n’est pas vraiment transférable aux détecteurs digitaux.